Les santons de Provence sont de petites figurines en argile, très colorées, représentant, dans la crèche de Noël, la scène de la nativité (l’enfant Jésus, la Vierge Marie et saint Joseph, avec l’âne et le bœuf censés réchauffer l’enfant avec leur souffle), les Rois Mages et les bergers, ainsi que toute une série de petits personnages, figurant les habitants d’un village provençal et leurs métiers traditionnels. Tout ce petit monde, chacun muni de son présent pour l’enfant Jésus, fait route à travers un paysage comportant traditionnellement une colline, une rivière avec un pont, et des oliviers (généralement représentés par du thym fleuri), vers l’étable, surmontée de son étoile.

Farandole des santons, fresque de David Dellepiane

Histoire des santons.

La tradition de la crèche de Noël trouve son origine au Moyen Âge. Une légende tenace veut que François d'Assise, dont la mère était originaire de Tarascon, ait créé en 1223 la première crèche vivante à Greccio alors que ces scènes étaient déjà jouées depuis plusieurs siècles par des comédiens dans les mystères de la Nativité sur les parvis des églises. Cette « crèche vivante » a donné naissance à une tradition qui s’est perpétuée, mais les « acteurs » ont été très largement remplacés par des personnages en bois, en cire, en carton pâte, en faïence et même en verre. Les premières crèches ressemblant à celles que nous connaissons font leur apparition dans les églises au XVIe siècle.

La première crèche connue fut celle créée à Marseille, en 1775, par un dénommé Laurent. Elle était constituée de mannequins articulés vêtus de costumes locaux. Pour y ajouter un brin d’exotisme, le créateur y avait placé des girafes, des rennes et des hippopotames. Jean-Paul Clébert raconte : « À l'époque du Concordat, Laurent montrait même un carrosse qui s'avançait vers l'étable ; le pape en descendait, suivi des cardinaux. Devant eux s'agenouillait toute la Sainte-Famille et le pape lui donnait sa bénédiction. Pendant l'adoration des bergers, un rideau se levait, dévoilant la mer sur laquelle voguait un bâtiment de guerre. Une salve d'artillerie saluait l'enfant Jésus qui, réveillé en sursaut, ouvrait les yeux, tressaillait et agitait les bras.

Foire aux santons à Marseille sur la Canebière XIX siècle.

Après la Révolution française qui a entraîné la fermeture des églises et la suppression de la messe de minuit, les représentations publiques de la nativité furent discontinues. C’est alors qu’en Provence des petits personnages, les « santoun » ou « petits saints », ont été créés pour qu’une crèche de Noël puisse fleurir dans l’intimité du foyer de chaque famille provençale.

En 1803, peu après le Concordat, la première Foire aux santons fut inaugurée à Marseille. Elle s’y tient toujours, de fin novembre à début janvier chaque année. Outre les petits santons peints, on peut trouver à cette foire des « santons habillés », en costume traditionnel, chacun portant les insignes de son métier. On peut également y acquérir les accessoires permettant de confectionner le décor traditionnel de la crèche : étable, puits, pont, étoile, papier rocher, papier ciel, mousse fraîche pour imiter l’herbe, etc.

Fabrication des santons.

Les premiers santons étaient confectionnés en mie de pain, mais petit à petit c’est l’argile rouge de Provence qui a été privilégiée pour la fabrication. Si les santons sont longtemps restés de fragiles créations en argile crue, la cuisson de l’argile s’est imposée un peu partout de nos jours. Le véritable santon de Provence, en argile non cuite, a été créé à Marseille par Jean-LouisLagnel (1764-1822), il fut au début concurrencé par les santibelli, d'origine italienne et qui réalisés en plâtre étaient vendus autour des années 1830 par des marchands napolitains dans les rues du Vieux-Port. Il existe de nos jours une forte concentration d’ateliers de santons entre Aubagne, Marseille, Aix-en-Provence, Arles, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse ensuite le Var, les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes.

Les santonniers passent par sept étapes pour réaliser un santon. Ils réalisent, tout d'abord, un modèle dans l'argile crue placé sur un socle qui fera partie du sujet. Ensuite a lieu la fabrication du moule coulé en plâtre. Le moulage se fait en pressant un colombin d’argile fraîche dans une moitié du moule qui a été talqué. Après une pression à la main des deux parties, le surplus est ébarbé et le santon sorti du moule est mis à sécher. La dernière opération manuelle consiste en un ébarbage plus fin pour ôter toute trace de moulage. Puis le santon est remis à sécher avant d'être cuit dans un four à 980° C. L'ultime opération est la décoration qui se fait toujours à la main.

Les principaux personnages de la crèche Provençale.

Jean-Louis Lagnel a eu l’idée de construire les moules en prenant comme modèles ses propres voisins qui exerçaient différents métiers : ainsi les santons sont traditionnellement vêtus dans la mode populaire sous Louis-Philippe. Il est à remarquer que chaque personnage a son histoire personnelle, qu’on peut connaître en assistant à une des nombreuses « Pastorales » représentées sur scène un peu partout en Provence à l’époque de Noël.

Dans la crèche provençale, il y a différents groupes de santons qui complètent les personnages habituels de la crèche classique. Ils se divisent en quatre catégories. Les santons placés dans l'étable, ceux qui apportent des cadeaux, ceux qui figurent les différents métiers de Provence ; viennent ensuite les animaux et les accessoires nécessaires pour figurer un village provençal typique (étable, maisons, puits, rivière, pont, moulin, église, etc.).

Outre l’Enfant Jèsu ou lou tant bèu pichot (l’enfant Jésus ou le si bel enfant), Sant Jousè (saint Joseph), la Santo Vierge (la Vierge Marie), lou biou (le bœuf), l’ase (l’âne), li pastre (les bergers, les pâtres) et l'ange Boufarèu, apparaissent lou viei et la vièio (le vieux et la vieille), lou ravi (le ravi), Pistachié, lou tambourinaire (le tambourinaire). Ont été ajoutés aussi des santons qui représentent des petits métiers : lou pescadou (le pêcheur), la peissouniero (la poissonnière), lou pourtarié d’aigo (le porteur d'eau), lou bouscatié (le bucheron), la jardiniero (la jardinière), la masièro (la fermière avec les produits de la ferme), lou móunié (le meunier, avec son sac de farine), lou boulangié (le boulanger), lou banastaire (le vannier), l’estamaire (le rétameur), l’amoulaire (le rémouleur) et la bugadiero (la lavandière), le chasseur et le ramoneur. Apparaissent aussi le curé, le moine et lou Conse (le Maire) qui se mêlent avec l'Arlésienne, l'aveugle et son fils, le boumian et la boumiane (les Bohémiens).

Les animaux.

L’âne et le bœuf sont incontournables dans la crèche provençale. Dans l'étable, ils regardent le nouveau-né et le réchauffent de leur souffle. Les moutons sont également essentiels. En nombre, ils représentent le troupeau des bergers qui viennent à la crèche offrir un agneau.

Jean-Paul Clébert rappelle que cette cérémonie de l'offrande de l'agneau est toujours vivante lors de certaines messes de minuit en Provence, en particulier à Séguret et aux Baux. C'est le pastrage, un rite qui date du XVIe siècle. Jugé empreint de paganisme, il fut interdit par le concile de Narbonne, en 1609, puis par l'archevêque d'Arles, en 1612. Mais la tradition fut plus forte et résista aux menaces d'excommunication.

Parallèlement à ces animaux traditionnels, la crèche provençale s'ouvre aussi à d'autres animaux : le chien du berger ou du chasseur, les poules et coq de la basse-cour, l'âne qui porte la farine du meunier, etc...

L’ange Boufarèu.

L’ange est le messager de la naissance de l'enfant Jésus. Le plus célèbre est l'ange Boufarèu, celui qui souffle, il tient une trompette et guide les bergers vers la crèche. En général, il est suspendu au-dessus de l'étable où est couché le nouveau-né. C'est un des personnages de la Pastorale d’Yvan Audouard. Chez Antoine Maurel, c'est l'archange Gabriel qui proclame la naissance aux pâtres.

 

Les bergers.

Berger et son troupeau.

Les bergers, personnages bibliques puisqu'ils sont décrits dans la Bible, sont avertis par les anges et arrivent les premiers sur les lieux de la Nativité. La représentation qui en est faite est imprégnée de l'image populaire, soulignant que la crèche provençale est avant tout une pastorale. Au sens propre et au sens figuré puisqu'ils sont chargés de répandre la Nouvelle. Il est enveloppé dans sa grande cape qui le protège de la pluie et du mistral. Suspendues à son épaule, une gourde et une musette. Il brandit un bâton qui lui sert à réunir son troupeau et à le protéger des dangers.

Ils sont représentés de multiples façons, jeunes ou vieux, appuyés sur un bâton, debout ou à genoux devant l'enfant, un agneau parfois dans les bras ou sur les épaules.

 

L’aveugle et son fils.

L’aveugle et son fils sont issus de la Pastorale Maurel, où ils sont nommés l’avugle e soun fieu. Le fils aîné de la famille, Chicoulet, a été enlevé et son père a tellement pleuré de chagrin qu'il est devenu aveugle. C'est pourquoi, appuyé sur son jeune fils, Simoun, il s'en va à la crèche pour implorer l'enfant de l'aider à retrouver son aîné.

Toujours représenté s’appuyant sur l’épaule de son jeune fils, Simon (Simoun) ou Capus, l’aveugle est muni de sa canne. Homme d’un certain âge, sa barbe et ses cheveux sont gris. Son cadet le guide.

Le boumian et la boumiane.

Ce sont les bohémiens, les nomades de la crèche. Le dénomination de boumian, courante en provençal, bohemià en catalan, viendrait du fait qu'un comte de Provence aurait obligé les tziganes à vivre à la Sainte-Baume. Ces habitants de la baume (grotte) en gardèrent le nom.

Le boumian est toujours revêtu de vêtements aux couleurs criardes, d'une grande cape noire, un foulard rouge sur sa tête, affublé de cheveux longs et noirs ainsi que d'une barbe. Un grand couteau est accroché à sa ceinture. On le dit guérisseur et savant. La boumiane, un fichu noué sur la tête, porte un tambourin à la main. Son corsage coloré. Jeteuse de sort, elle lit les lignes de la main et dit la bonne aventure.

Ces deux personnages font peur car leurs savoirs dérangent et fascinent. Ce sont les seuls méchants de la crèche, accusés de voler draps et poules ou de de kidnapper les enfants. Lors de leur venue à la crèche, le couple rend à l'aveugle un de ses fils, Chicoulet, qu'il lui avait dérobé.

Du coup, ce ne sont pas un mais trois miracles qui vont se produire. L'aveugle retrouve la vue, il reconnaît son fils aîné qui lui tombe dans les bras. Et le boumian renonce à ses méfaits en promettant de mener une vie honnête.

 

Lou Pistachié

Le Pistachié est un valet de ferme. Il est incontournable dans la crèche provençale depuis les Pastorales Maurel, Audibert et d'Yvan Audouard. Chacun lui donne une personnalité un peu différente mais tous s'accordent à le décrire comme un pistachié coureur de jupon. Le pistachier, arbuste de la garrigue provençale, donne des fruits qui passent pour être aphrodisiaques. Ce qui justifierait ce surnom.

Dans la pastorale, il est aussi grand chasseur devant l'Éternel que maladroit. Mais miracle, lors de la Nativité, il va tuer pour la première fois de sa vie un lièvre en allant à la crèche.

La façon de représenter ce santon est diverse. Une des plus courantes est de le voir affublé d'une tenue négligée, portant chemise et pantalon retenu par une seule bretelle.

 

Le ravi.

Le Ravi, appelé lou ravi en provençal, est un personnage essentiel de la crèche. C'est l'idiot du village (ou mieux, l'étonné, le simple de cœur) et il porte bonheur. Le pauvre innocent n'a rien à offrir, mais se réjouit de cette naissance. Il est toujours représenté les bras levés au ciel en signe de surprise et d'allégresse.

Dans le village, il s'occupe de menus travaux (à l'intérieur du mas ou dans les champs), c'est un personnage des plus modestes qui vit d'habitude dans la crèche où a eu lieu la naissance. Il est habillé simplement, un bonnet sur la tête. On lui associe parfois la ravido (la femme ravie) et l'étonné (valet que l'on représente penché à la fenêtre du mas) dans le même état de ravissement.

Ce personnage fruste « est un incroyant qui s'étonne que des croyants veillent parce qu'ils croient qu'un Sauveur vient de naître cette nuit-là. Lui, a les pieds sur terre, il n'a d'attention que pour ce qui est terrestre : le boire, le manger, les plaisirs mais aussi la laideur, les guerres, le quotidien qu'il faut gagner à la sueur de son front ». Mais son ravissement à la vue de la naissance de Jésus en fait un homme nouveau et différent, il ouvre son cœur, et découvre le chemin du bonheur dans la simplicité.

Il est à l'origine de l'expression sembler le ravi de la crèche, qui désigne quelqu'un ayant l'air heureux, ou d'un optimisme béat.

 

Le maire.

Le maire est nommé lou conse en provençal. Premier magistrat de sa commune, il a revêtu ses plus beaux habits pour se rendre à la crèche et arbore son écharpe tricolore. Il est coiffé d’un haut-de-forme et porte une lanterne ou un parapluie à la main. Dans les Pastorales, il est prénommé Mathieu et officialise la naissance en inscrivant Jésus à l’état civil de son village.

 

Le curé.

D’une bonhomie naturelle, il apparaît comme complètement perturbé par cette Nativité. Les joues rouges, les mains potelées, tout impressionné de « rencontrer son patron ».

Le moine.

C'est François d’Assise, avec sa robe de bure, souvent bedonnant et chauve, le saint patron des santonniers

Cette représentation d'un moine dans la crèche peut aussi rendre hommage à un capucin qui vivait au couvent de Marseille. Ce disciple de François d'Assise avait un véritable talent de sculpteur. Il reproduisit les personnages de la crèche sculptés sur bois dans son couvent. Son idée étant de distribuer aux pauvres ces petits sujets, il les réalisa avec de la mie de pain et les parfuma de quelques grains d'anis.

Son succès auprès des gens de son quartier fut immédiat. Il recommanda toutefois à ses ouailles de ne pas manger les petits personnages de la crèche avant le 25 décembre. Son interdiction ne fut, sans doute, pas respectée puisque son père supérieur dut intervenir pour faire cesser cette distribution. Désormais le jeune capucin ne s'occupa plus que des sujets en bois de la crèche de son couvent.

 

Le tambourinaïre et la farandole.

Le tambourinaïre, est représenté avec son tambourin et son galoubet. Par tradition, c'est lui qui mène la farandole. C'est un des sujets majeurs de la crèche provençale à laquelle il est indispensable.

Le tambourinaire est un notable, Thérèse Neveu l'appelait « Mestre Tapeno ». Vêtu d'un costume élégant, il porte un chapeau de feutre à larges bords, sous sa veste de velours noir, il a revêtu une chemise blanche nouée au col par un cordon, et son pantalon est serré par une taiole, ceinture typique de Provence constituée par une bande de tissu en laine rouge.

Les farandoleurs forment une longue file qui se déplace en serpentant. Les tours et détours de cette danse, que l'on dit d'origine grecque, figurent un labyrinthe. Si les hommes portent un costume ressemblant à celui du tambourinaïre, les farandoleuses sont soit vêtues en arlésienne soit en provençale.

 

L'Arlésienne.

L'Arlésienne est très souvent présente dans la crèche en compagnie de son inséparable gardian. Chaque santonnier se fait un devoir de représenter l'Arlésienne selon ses goûts, jeune ou vieille, mais toujours revêtue de ses plus beaux atours, le costume d'Arles. Celui-ci, porté indifféremment par les femmes de toutes conditions, a traversé la Révolution, tout en continuant à évoluer d'une façon naturelle. D'Arles, il s'est étendu à l'Est par-delà la Crau, jusqu’à la Durance et le golfe de Fos. Toute son évolution est retracée au Museon Arlaten. Il se distingue d'abord par une coiffe spéciale qui nécessite le port de cheveux longs. En fonction des jours de la semaine et des tâches à accomplir, cette coiffure était retenue sur le sommet de la tête par un ruban, une cravate ou un nœud de dentelles.

 

Le vieux et la vieille.

Ils s’appellent Grasset et Grassette. Ils sont souvent représentés assis ensemble sur un banc de la place du village ou debout, bras dessus, bras dessous. Toujours représentés avec de riches atours - leurs habits du dimanche - elle est emmitouflée dans son châle richement brodé. Traditionnellement Grasset porte un parapluie et Grassette un panier plein de victuailles.

D'autres anciens (li vièi) sont représentés dans la crèche : « Ils sont au nombre de trois : le couple Jordan-Margarido, bras dessus bras dessous, sans cesse en querelles mutuelles. Représenté lui en jaquette, gilet brodé et lanterne à la main. Margarido est coiffée de dentelle et porte un châle fleuri ainsi un panier d'osier au bras. Tous deux sont escortés de l'ami Roustido, souvent muni d’un grand parapluie rouge, dont la tenue recherchée témoigne de la position sociale d'ancien notaire dans le village. »

 

Monsieur Jourdan et la Margarido.

Monsieur Jourdan est un personnage de la Pastorale provençale Maurel et l'époux de Margarido (femme sur l'âne), réputée pour son mauvais caractère. Ils sont les derniers à avoir entendu l'appel des bergers et se dirigent vers l'étable. Margarido arrive sur son âne avec un grand panier chargé de victuailles. Tous les deux sont très élégants. Elle a revêtu ses plus beaux atours, son plus beau châle, sa coiffe avec toutes ses dentelles et lui porte gibus, lavallière, gilet brodé, bas blancs et chaussures à boucles d'argent.

 

Les rois mages.

Les rois mages, sont au nombre de trois : Balthazar, le roi maure avec son turban sur la tête, Gaspard, originaire des Indes, et Melchior, le roi blanc. Richement vêtus, ils apportent chacun une offrande (or, encens et myrrhe) à l'enfant. Venant de très loin, ils sont en général représentés avec un ou plusieurs dromadaire(s) accompagnés d'un chamelier. Les rois mages arrivent traditionnellement devant l'étable le 6 janvier lors de l'Épiphanie.

En revenant de la crèche, Balthazar se serait arrêté aux Baux-de-Provence. Les seigneurs des Baux le tenant pour leur ancêtre portaient sur leur blason une étoile d’argent et leur cri de guerre était : « Al azar, Balthazar ! » (« Au hasard, Balthazar ! »)